Honorer le sacré dans le soin
Vous êtes-vous déjà demandé ce que devenaient les organes enlevés après une intervention chirurgicale ?
Nous savons qu’ils partent en analyse anatomo-pathologique pour connaître leur structure tissulaire exacte et rechercher d’éventuelles cellules cancéreuses.
Mais après ? Sont-ils conservés dans du formol comme les bocaux que j’avais vus dans le musée de ma faculté ?
Si oui, combien de temps ?
Sont-ils jetés dans un sac jaune comme tout déchet biologique ?
Sont-ils incinérés ensuite ?
Eh bien, c’est la question que je me suis posée à l’été 2023 quand j’ai dû accepter de subir une hystérectomie.
J’étais médecin et jamais cette question ne m’avait effleuré l’esprit jusque là.
Je venais de passer 46 ans avec mon utérus et là, on m’annonce qu’il y a indication chirurgicale à l’enlever du fait d’une adénomyose importante qui devenait symptomatique. On me demandait d’accepter de faire le deuil d’une partie de moi. Et quelle partie : l’organe qui sert à faire grandir en toute sécurité et amour les bébés. J’étais déjà maman ; de ce point de vue là , c’était plus facile. Mais qu’en était-il de tous mes bébés symboliques ? Mes projets, tout ce que j’avais envie de créer et qui nécessitait un temps de gestation à l’intérieur de moi avant de voir le jour ?
Devant toutes ces questions qui s’imposaient à moi, j’ai eu besoin d’aller comprendre ce que mon utérus « blessé » avait à me dire, et ce, afin de pouvoir accueillir pleinement cette chirurgie. C’était pour moi presque vital de trouver des réponses pour pouvoir dire au revoir convenablement à cette partie de moi qui m’avait portée pendant 46 ans et permis de mettre au monde ma magnifique petite fille.
Quand on y réfléchit, la chirurgie c’est merveilleux ; ça sauve des vies.
Mais en soi, ça reste un acte traumatique pour le corps.
D’ailleurs, le langage nous le dit bien : on SUBIT une intervention chirurgicale. Quand une intervention se passe mal, dans le langage familier on dit : “c’était une boucherie cette opération”, ou “le chirurgien m’a charcuté”. Toutes ces expressions populaires, vous les avez déjà entendues.
Si l’on reprend un peu l’histoire de la chirurgie, on obtient une explication à ces mots familiers ; les guerres ont été de fantastiques accélérateurs de connaissances dans ce domaine. Au Moyen-Age, les premiers à faire de la chirurgie ne sont pas des médecins mais des barbiers itinérants qui traitent abcès, fractures, tumeurs… sans anesthésie sur un coin de table, dans des conditions d’asepsie déplorables.Aujourd’hui, les progrès de la chirurgie sont incroyables et l’on peut avoir tendance à oublier d’où elle vient. On enlève des appendices, des
vésicules biliaires de façon presque routinière, comme si c’était une chose qui avait toujours existé. Et d’un côté, c’est très bien comme cela.
Il faut une sacrée force intérieure pour ouvrir un corps et le réparer, il faut garder son calme pour opérer quand le pronostic vital est engagé. Être intensément ému par l’histoire de son patient pourrait peut être paraître déstabilisant pour celui qui opère et qui a besoin de garder ses nerfs.
Et pourtant, derrière chaque ablation d’organes, se cache une histoire singulière : celle d’un être humain unique, qui appréhende la vie à sa façon, qui est l’expression d’une vérité qui n’appartient qu’à lui et qui mérite d’être reconnue et accueillie comme telle.
Il y a quelques jours, je suis tombée sur un reportage sur l’histoire de la chirurgie. Une information m’a profondément marquée. Il y était évoqué en exemple l’Université de Padoue, en 1594, avec sa création d’un théâtre anatomique qui servirait de modèle à tous les autres théâtres anatomiques d’Europe, puis du monde. A cette époque, les ecclésiastiques participent aux cours de dissection.
Pourquoi ? Pour être le témoin de « l’extraordinaire complexité du corps humain, des organes, des appareils et des systèmes, qui sont la preuve de l’existence d’un Esprit supérieur. On vient ici étudier le Chef d’Oeuvre de Dieu, le Chef d’Oeuvre de l’Esprit supérieur ».
En écoutant cette phrase, l’image m’est venue de ces hommes aux regards éblouis et révérencieux face à la découverte de ce corps humain.
Quelque chose de l’ordre du sacré était présent à cet instant pour moi. Et j’ai trouvé ça très beau.
A chaque progrès, chaque découverte, chaque innovation de la chirurgie, j’imagine ce même sentiment de reliance à quelque chose de précieux, de plus grand : la première greffe d’organe, la chirurgie foetale, in utero.
De véritables miracles !
Et si l’on pouvait retrouver ce même regard ébloui et révérencieux au quotidien dans des interventions ordinaires ? Et si chaque intervention chirurgicale détenait un potentiel miraculeux ?
Il suffit peut-être juste de changer son regard sur ce qui se joue pour le patient dans cette intervention, qui n’est pas uniquement mécanique, mais bien plus que cela. Elle vient en fait nous raconter une histoire.Et pour moi cette histoire, c’est celle d’une lignée de femmes blessées dans leur féminin, dans leur sexualité, dans les abus de toutes formes qu’elles ont subis et qu’elles ont validés pensant le mériter. Comment j’en suis arrivée à cette conclusion ? Simplement en allant consulter des thérapeutes utilisant les états d’expansion de conscience. Ils m’ont permis de découvrir que j’avais en moi, engrammé dans mes cellules, toutes les informations dont j’avais besoin par rapport à mon histoire. J’ai découvert un secret de famille : le viol de ma mère par un cousin à l’âge de 15 ans, et bien d’autres évènements.
Évidemment, cette conclusion n’a de vérité que pour moi, mais elle a le droit plein et entier d’exister.
C’est ainsi qu’après avoir découvert tous ces évènements, je suis retournée voir mon chirurgien avant l’intervention, car j’avais une seule idée : j’avais besoin qu’il ait conscience de ce que représentait cette opération à mes yeux au moment où il allait la pratiquer ; j’espérais qu’il aurait la phrase que je lui ai dite, en tête, au moment de réaliser la première incision, comme si pour moi, cela allait modifier l’intention et l’énergie du soin pratiqué.
La phrase que je lui ai dite est la suivante : « ce que vous allez m’aider à faire, Docteur, par cette opération, c’est m’aider à enlever les empreintes des mémoires de toutes les femmes de ma lignée et de moi-même dont le Féminin a été bafoué, sacrifié, agressé. » Et croyez moi , il m’en a fallu du courage pour oser prononcer cette phrase comme il m’en faut pour oser l’écrire car derrière elle, se cache la peur d’être jugée, rejetée dans ma manière de percevoir la Vie, le Monde et le Soin.
Mais ce que je peux vous dire aujourd’hui avec certitude, du fait de l’expérience de ma pratique médicale et de thérapeute, c’est que derrière chaque chirurgie, se cache une vérité profonde, unique, et symbolique pour l’être humain qui la subit. Et que reconnaître cette part voilée de l’Être, c’est, pour moi, ça véritablement prendre soin !!! Et c’est ce qui à mes yeux, est miraculeux, au quotidien.
Il me reste une dernière chose à vous révéler sur ma propre histoire.
Quand j’étais en salle d’attente avant de rentrer au bloc opératoire et que je patientais seule, j’ai eu besoin de faire une chose encore. J’ai eu besoin de dire au revoir à mon utérus mais pas n’importe comment. J’ai utilisé une forme de prière, qui vient des populations traditionnelles Hawaïennes et que peut-être vous connaissez. Cela s’appelle le
Ho’oponopono. Cette prière est basée sur quatre mots essentiels :
Désolé, Pardon, Merci, Je t’aime. J’ai donc pris le temps de parler à mon utérus en créant des phrases justes pour moi autour de ces quatre mots.Une fois cela fait, j’étais prête à être endormie et à accueillir cette intervention.
Si j’ose m’exposer ainsi dans ma vérité , c’est pour nous faire une proposition :
• A nous patients, d’oser être dans notre individualité, notre singularité, et d’oser exprimer nos besoins, même s’il y a la peur de ne pas être entendu ou compris, car ainsi nous redevenons acteurs de notre soin.
• A nous soignants, d’ouvrir notre conscience, que derrière les demandes de nos patients, qui peuvent sembler parfois incongrues, se cache cette part voilée de leur Être qui attend qu’on prenne soin d’elle en la révélant et en l’accueillant. Et peut-être qu’offrir cet espace-là au patient, c’est s’offrir la possibilité d’une meilleure qualité du soin, d’une meilleure récupération et d’une meilleure cicatrisation derrière. Qui sait ?
C’est surtout recréer du lien et renouer avec notre propre humanité, et pour moi, il est là, le Sacré !
ALEXANDRA BUTEAU
MEDECIN GENERALISTE NON EXERÇANT – THERAPEUTE
Réf documentaire : Histoire de la Chirurgie de Nina Koshofer et Christian Twente (All., 2024, 89 min). Arte.tv.